Mille livres en tête

Mille livres en tête

Black feelings / Mo GADARR

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Quand j’ai découvert ce roman au résumé et au titre plus qu’explicites, « Black Feelings », je n’ai pu m’empêcher de faire le rapprochement avec une série Netflix dont  j’avais adoré la 1ère saison, « 13 Reasons why ». La couverture a fini de me convaincre de l’accepter en Service Presse.

 

Et je peux, d’ores et déjà, vous dire que c’est un sacré coup de cœur pour un livre sur ce thème si douloureux et qui, ne nous voilons pas la face, a provoqué un véritable tsunami émotionnel en moi. On me reproche de faire des chroniques trop longues, trop ci ou trop ça ; je vais faire au mieux pour faire simple – quoi que rien n’est sûr - mais clair sur les sentiments qui sont les miens après cette découverte littéraire.

 

Merci à Fyctia, Hugo Poche et Célia pour l’envoi de ce bouleversant ouvrage !

 

2001 : Amandine et Chloé sont amies jusque dans leurs souffrances intimes. Elles ont en commun de ne pas être les reines du lycée et d'être toutes les deux attirées par deux bad boys - Xavier et Matteo - avec qui toutes les filles rêvent de sortir.


Lorsqu'elles les deux bad boys les invitent à une soirée chez Matteo, elles pensent voir leurs rêves se réaliser. Et Amandine est prête à tout pour ne plus être La Transparente. Vraiment à tout, au risque de souffrir et de perdre beaucoup voire de se perdre.


Comment une soirée, durant laquelle on veut être comme tout le monde, peut tracer un destin ?

2017 : Tout juste diplômée professeur de français, Amandine (devenue Mandy) prend ses fonctions dans un lycée sous le tutorat d'un professeur déjà en place. Lorsqu'elle découvre son identité, la mission qui l'a poussée à devenir enseignante va prendre encore plus de sens : elle aidera tous les élèves qui souffrent, comme elle a tant souffert par le passé. Mais elle pourrait bien, à  son tour, prendre la place de son bourreau et inverser les rôles malgré les années passées. Surtout lorsque l'homme en question est Matteo BRADY, sur le point de se marier, qui ne la reconnaît pas.

 

« Enfin, j’accède à une part de normalité tant attendue. Je vais pouvoir agir pour les élèves là où personne ne l’a fait pour moi. Pour nous »

 

Au travers de l’histoire d’Amandine, personnage fragile et fort à la fois, ce roman aborde ce sujet de société tellement tabou qu’est le harcèlement scolaire. Et c'est avec beaucoup de talent que l'auteure le traite pour montrer qu’en matière de harcèlement (pas spécialement scolaire d’ailleurs), tout est une question d'image, d'apparences : ne pas être vu avec quelqu'un qui ne correspond pas à l'image qu'on veut donner de soi. De sa forme la plus anodine à sa forme la plus sombre, le harcèlement laisse des traces indélébiles. Et lorsque la rumeur s’invite à cette danse malsaine, le côté sordide prend le dessus avec des scènes déchirantes à lire.


En alternance avec le passé il y a 16 ans, le présent d'Amandine nous la présente comme une jeune femme éteinte, émotionnellement parlant, mais animée par un désir de vengeance élevé. Sa détermination est solide. Oubliée la jeune adolescente un peu ronde, effacée et pas très bien dans peau. Elle est devenue une magnifique jeune femme, sûre d’elle, qui enchaîne les conquêtes masculines éphémères et n'en retire aucun plaisir. Son parcours douloureux ne peut laisser insensible, ni la suite qu’elle s’est fixée non plus. Elle est touchante dans sa quête de reconstruction par la vengeance et dans sa loyauté envers une promesse faite.

 

« Le sexe me permet de maîtriser ce que je n’ai pas réussi à contrôler il y a bien longtemps. C’est ainsi qu’Internet, les bars et la rue remplissent mon lit »

 

Quant à Matteo, le lycéen très sûr de lui, apparaît comme un adulte soumis à sa future femme et à sa belle-famille qui ne l'apprécie guère. La racaille du passé semble être devenue un homme rangé, sans histoire. On lui donnerait presque le bon dieu sans confession. Telle une marionnette, son avenir va se retrouver entre les mains de Mandy. Et autant dire que rien ne va lui être épargné.

 

« La meilleure façon de résister à la tentation, c’est d’y céder »

Oscar WILDE

 

Au fil des chapitres qui alternent présent et passé mais aussi intervention de Mattéo et d’Amandine, l’évidence s’impose quant aux changements de comportements et de caractères de ces deux personnages. Comme un retournement de situations que le temps a soigneusement orchestré. Ces alternances qui s’amplifient en intensité émotionnelle, ont tellement créés la confusion dans mon esprit, je ne saurais même pas dire si j’ai aimé ou détesté Mattéo. Plus l’histoire se déroulait tel un « mauvais » film, plus j’étais prise de doutes, oscillant entre haine et empathie. C’est très difficile à expliquer tant les mondes, présent et passé, sont en opposition à tous points de vue. Mais cette alternance du passé et du présent est parfaitement justifiée et utilisée. Ça permet un jugement juste, sur les personnages et leur évolution.

 

C’est d’une manière vraiment complète que Mo GADARR a développé cette histoire poignante où, d’un bout à l’autre, rien n’est laissé au hasard. Elle démontre avec beaucoup de brio les conséquences que les blessures d’une adolescente sans histoire vont avoir sur sa vie d’adulte et sur la vie de ceux qui vont la côtoyer. Et ce qui semble être une simple vengeance va se révéler être plus complexe avec des dommages plus que collatéraux : un jeu dangereux au contact duquel Mandy risque bien de brûler son corps et son âme.

 

« Tu te délectes de la souffrance des autres. Tu te moques bien de faire du mal ou de blesser ceux qui sont sur ton passage. Tu embarques tout le monde dans ta spirale destructrice »

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Là où j’ai été le plus touchée, et pourtant le passage est court, c’est lorsque je suis entrée dans l'âme meurtrie de Chloé par le biais de son journal intime qui est une étape bouleversante de cette lecture. Tombée dans un guet-apens psychologique, sa situation relève, ni plus ni moins, d'un lynchage émotionnel impensable. J'avoue que ce passage m'a été difficile à lire tant les émotions étaient fortes et m'ont atteinte au plus profond.


Black Feeling fait partie de ses romans qui interpellent forcément, un véritable déferlement de sentiments contradictoires en découle. Que l’on soit parent ou non, tout le monde est concerné par le sujet. A l’heure où les réseaux sociaux sont tellement actifs, ça ne touche pas que les adolescents à l’école ; c’est un fait de société, telle une maladie insidieuse, qui peut toucher n’importe qui. Et le plus grave, c’est lorsqu’on passe à côté sans s’en apercevoir tant le silence – voire le sentiment de honte - qui l’entoure est pesant.

 

L’auteure a su entourer ses deux personnages principaux, de personnages secondaires parfaitement travaillés pour illustrer ce sujet. Il y a ceux que j’ai détesté dans le passé sans que mes sentiments changent dans le présent et ceux détestables dans le passé qui m’ont touché dans le présent. Ceux qui ont certainement appris de leurs erreurs en réalisant que tout harceleur peut un jour se retrouver en position de harcelé – directement ou indirectement -.

 

Ce livre est une véritable révélation car il est vraiment abouti dans l’évocation de thèmes forts et divers. Le sujet est maîtrisé et la réalité du problème est clairement posée. Je ne suis pas une experte sur ce sujet car, mes enfants et moi, n’avons jamais eu à le subir mais sincèrement, même s’il s’agit d’une dark romance, cet ouvrage devrait figurer parmi les livres à étudier dans les lycées ; d’autant plus qu’il est écrit par un professeur. Sa légitimité, en tant que roman de référence sur le thème du harcèlement, ne saurait être remise en cause dès lors qu’il permet d’ouvrir les yeux sur un sujet douloureux et qu’il permet de faire changer des comportements depuis trop longtemps ancrés.

 

Alors si l’amour a le pouvoir d’éclairer les âmes assombries, le dialogue a le pouvoir d’anticiper des situations dramatiques et d’éviter des souffrances. Le harcèlement est l’affaire de tous ; il suffit qu’une personne réagisse et l’histoire peut changer.  



16/09/2019
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