Mille livres en tête

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Celles qui restent / Samuelle BARBIER

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La douleur est là pour ne pas oublier l'autre car ne plus ressentir c'est prendre le risque de l'oublier et qu'il sorte de nos pensées et de notre vie. Prendre le risque que les sentiments s'étiolent jusqu'à s'éteindre totalement.

 

Lorsque j'ai vu passer la présentation du dernier roman de Samuelle BARBIER, ce n'est pas la couverture qui m'a interpellée mais le titre. Sincèrement, la couverture n'a eu aucun effet sur moi qui ne suis pas amatrice de ce style. Mais elle ne reflète pas le contenu et le résumé a fini de me convaincre qu'il me faudrait découvrir cette histoire qui sort le 3 septembre 2020.

 

Merci à Celia et Hugo Roman Editions de m'avoir permis de lire cette histoire en avant-première.

 

Résumé de l'auteure :

Clara est l'aînée, la sage, l'exemple à suivre. Celle qui fait tout comme il se doit, quitte à grincer des dents en se forçant à sourire.

 

Constance est la cadette. Si discrète, qu'on en oublie qu'elle existe... jusqu'à ce qu'elle décide de cesser d'exister en se jetant du haut d'un pont.

 

Lucy est la benjamine. Celle qui rit trop fort, parle trop fort, vit trop fort. Parce qu'elle a peur qu'on l'oublie.

 

Mais il y a aussi Marielle, qui elle, n'a ni sœur, ni frère, ni enfant, tout juste un vieux chien obèse. Celle qui a consacré sa vie aux autres pensait arriver au bout de son chemin dans l'indifférence, jusqu'à ce qu'un ange vêtu d'un manteau rouge se jette d'un pont, juste devant elle, et remette tout en question.

 

Comment un drame peut remettre, directement ou indirectement,  des vies en cause ?

Comment vivre plutôt que survivre lorsque l'autre n'est plus là ?

 

Cette lecture est un vrai coup de  car avec une telle approche du résumé, je ne savais pas trop à quoi m'attendre. Dès lors qu'il s'agit de deuil, le ressenti est différent selon le choix d'écriture de l'auteure. Et j'ai été conquise d'un bout à l'autre de ma lecture.

 

"Celles qui restent", c'est l'histoire de deux femmes, deux sœurs, Clara et Lucy, en totale opposition de caractère, que la vie va mettre à l'épreuve et à qui elle va donner une chance de rattraper certains rendez-vous manqués pour revenir à de vraies valeurs et pour se racheter ne pas avoir été celle qu'elle aurait dû être. L'élément déclencheur : le décès, par suicide, de leur sœur Constance.

 

« Ce matin semble se dérouler comme tous les autres matins. Mais quelque chose, au fond de moi, sait qu’il n’en est rien »

 

Chacune a l'impression d'être passée à côté d'une étape qui aurait pu éviter le drame et c'est un véritable travail qui s'amorce comme pour se dire qu'il ne faut plus passer à côté de sa vie. Le temps des décisions suivies d'actes peut commencer. Mais cette quête de réponse ne se fera pas sans sentiment de culpabilité, sans rancœur, sans douleur atroce et sans phases essentielles.

 

« Très bien Connie, tu voulais nous laisser. Tu voulais nous quitter. C’est ton choix. Je vais te laisser tranquille, maintenant. Puisque c’est ce que tu voulais. Je ne vais pas chercher à savoir, à comprendre, à creuser… Tu nous as abandonnées, à nous de faire de même »

 

Clara, l'aîné est vraiment la tête pensante de ce qu'il reste de sa famille : elle ne laisse pas de place à l'imprévu. D'esprit très cartésien, chaque acte, chaque événement a son explication. Elle est le pilier qui n'a jamais plié mais au suicide de Constance il n'y a pas d'explication. Et ce constat va faire vaciller son monde jusqu'à la faire se vider de tous sentiments. Sauf la souffrance qu'elle entretient, comme détachée de tout pour ne pas accepter l'inacceptable. Seule une réponse à ce geste pourrait peut-être la sauver du mutisme, du sarcasme et du désintérêt dans lesquels elle s’enferme peu à peu.

 

« Moi, je ne marchanderai pas pour sa vie. Elle a choisi de mourir, de nous abandonner, d’être lâche. Et toi, tu veux qu’elle revienne ? Mais moi, je ne veux pas qu’elle revienne. Elle va rester là où elle est, là où elle a choisi d’être. Si elle y est mieux qu’avec nous… »

 

Lucy est la cadette ; celle qui s'est toujours reposée sur ses aînées. Elle va prendre conscience de ses erreurs passées et réaliser qu'elle n'est pas seule à souffrir. Ses sœurs ont toujours été là ; à présent, c'est à elle d'être là pour Clara. Sa souffrance est grande mais au fil de l’histoire, sa façon d’appréhender cette perte va se révéler très mature et surtout courageuse.

 

Le passé va se rappeler à elles en faisant remonter des souvenirs si bien enfouis qu'elles pensaient les avoir oubliés et en faisant réapparaître un personnage que nulle n'aurait pensé revoir. Des souvenirs et ce protagoniste qui seront essentiels dans ce processus de reconstruction. Ces moments de retours en arrière, aussi infimes soient-ils dans une histoire, sont toujours bénéfiques à sa solidité. Ils évitent de laisser des blancs qui engendreraient des questions de la part du lecteur voire sa frustration. L’auteure les a parfaitement utilisés comme il le fallait.

 

Mais dans cette histoire, il ne faut pas oublier qu’il n’y a pas que Clara et Lucy qui sont marquées par ce drame. Il y a ce personnage que je vais qualifier « de l’ombre » qu’est Marielle. Elle est celle qui assiste impuissante au suicide de Constance : trop loin, ne sachant pas nager ; elle ne peut qu’assister à l’inévitable et alerter les secours. Concernant Marielle, je suis restée un peu dubitative sur l’exploitation de son personnage. Je ne vais rien dire sur elle car trop risqué mais j’aurais aimé une autre évolution, une autre liaison avec l’histoire et ça n’a pas été le cas. La qualité initiale de son personnage aurait mérité, selon moi, qu’une autre place lui soit réservée dans l’histoire. Mais ce n’est que mon avis, bien sûr ! Sympa, le petit clin d'oeil de la fin Clin d'œil

 

« Mes yeux se perdent dans le lointain, en direction du pont que je ne peux pas voir, et j’adresse une prière silencieuse pour mon ange blond »

 

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Et ce serait une erreur que de ne pas parler de Constance qui est quand même le personnage central par qui tout arrive mais dont on ne connaît les raisons exactes à son geste. Tout au long de l’histoire, elle est plus que régulièrement évoquée ; elle est même un personnage à part entière. Et j’ai eu beaucoup d’affection et d’admiration pour elle, une fois la colère et la tristesse passées. La colère qu'elle n'ait pas su parler à cœur ouvert à ses sœurs ; la tristesse d'avoir ce sentiment qu'elle n'avait pas trouvé sa place entre ses deux sœurs, elle la petite fille effacée. Comme si elle considérait que son absence ne peinerait personne et qu'elle était seul maître de son destin. Lorsque j'ai réalisé le pourquoi de ce drame, j’ai vu une telle preuve de courage, de force et d’amour, que je n’ai pu faire autrement que l’aimer.

 

Dans ce livre aux thèmes forts, on peut y voir comme un message - ici, peut-être de Constance - que certains drames, douloureux au possible, sont un déclencheur pour ceux/celles qui restent pour vivre enfin en adéquation avec leurs vrais désirs. Et que lorsque la prise de conscience a pris toute sa forme, n'est pas le plus fort celui qui voulait le paraître.

 

Samuelle illustre parfaitement ces étapes du deuil (Le choc / La douleur / Le marchandage / La dépression / La reconstruction / L'acceptation). Celle notamment où on sort de son propre corps pour assister impuissante à cette vie qui s’impose à nous, à cette absence qu’on refuse et le refus de pardonner à l’autre de laisser ceux qui restent avec leur seule douleur et leur chagrin.  

 

« Tu m’as vraiment fait un sale coup, Constance. Je n’étais pas censée être celle qui reste »

 

La tristesse du thème est associée à une légèreté d'écriture qui, bien qu'un certain sarcasme règne parfois, fait que cette histoire se lit de manière sereine et à des extraits de textes magnifiques. Il n'y a pas de pesanteur ou de points dérangeants qui gênent la lecture. J'emploie rarement ce mot, qui pour moi est généralement utilisé à tort et à travers, mais il est bien question de fluidité tant dans l'écriture que dans la lecture de cette leçon de vie que nous donnent Marielle et ces trois sœurs qu'un même événement va marquer à jamais.

 

Des montagnes insurmontables ou de profonds précipices se dresseront sur leurs chemins. Mais en matière de deuil, il n’y a pas de règles précises ; chacun(e) le vit à sa manière, avec une longueur de tunnel plus ou moins grande. Ça c’est un autre débat !

 

Cet ouvrage, bien qu’assez court, au sujet plus que bien analysé et développé et à la narration à plusieurs voix, est vraiment d’une grande qualité d’écriture et de contenu. L’auteure a su, avec beaucoup de justesse, poser des mots sur une histoire poignante pour nous en faire sortir apaisée. Et au final, je me dis que si on veut que la vie nous donne ce qu'elle a de meilleur, il faut la respecter, il faut se respecter soi-même et aux questions sans réponse, il faut respecter l’autre et ses choix. Ça n'empêchera pas les écueils mais il y a de grandes chances pour qu’ils soient appréhendés autrement.

 

« Ça fait mal de perdre quelqu’un qu’on aime. Inutile de chercher à le quantifier, ça fait mal, un point c’est tout »



24/08/2020
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