Mille livres en tête

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Et me souvenir de ta mémoire / Cécile BERGERAC

1.pngMon grand-père ce héros ! C’est ainsi que la petite Cécile a toujours considéré son grand-père Marcel à qui elle rend hommage – à sa façon - à travers cet ouvrage poignant et bouleversant de pudeur et de sensibilité. C’est le 2ème roman de Cécile BERGERAC que j’ai le grand bonheur de lire – après « Ferme les yeux et fais un vœu » paru en 2020 chez Hugo Roman - et je suis prête à signer tout de suite pour découvrir une prochaine histoire sous sa plume. Merci à Hugo Roman et Célia pour l’envoi de ce pur moment de lecture que je rêvais vraiment de découvrir et que vous avez rendu possible !

 

Je suis bien loin de mon registre habituel de lecture et sincèrement, ça fait un bien incroyable de lire des histoires tellement bien écrites que je les associerais à un récit 100% vécu. Et pourtant… en refermant « Et me souvenir de ta mémoire », je me suis rendue compte que ce n’était pas le cas. Pour reprendre les termes de la présentation de la maison d’édition, il s’agit « d’une autofiction de ce qu’aurait pu lui transmettre son grand-père de son histoire. Si les fondations de ce récit ont été construites à l’encre de la réalité, c’est celle de l’imagination qui a pris le relai pour lui permettre d’exister ».

 

Expliquer ce qui est réel et ce qui est sorti de l’imagination de l’auteure, j’en serais incapable car j’ai lu cette histoire dans sa globalité sans me soucier du vrai et du faux. Je me suis vraiment laissée porter par ces personnages, ces tranches de vies heureuses ou bouleversées à jamais, ces évènements mentionnés qui même s’ils sont effroyables ne peuvent être ignorés et oubliés. Et surtout, la plume de Cécile BERGERAC m’a happée dans le sillon de sa plume, pour ce voyage à travers les époques passées et présentes sous les mots posés alternativement par Marcel, le grand-père et Cécile, sa petite fille, auxquels viennent s’inviter des passages narratifs externes indispensables pour lier cette histoire de vie.

 

Dès le prologue, j’ai senti l’amour qui allait unir ce grand-père à sa petite fille sur le point de naître à l’automne 1980. Court mais terriblement explicite en matière de sentiments ressentis comme tissés bien avant la naissance de Cécile. Elle est attendue de manière tellement touchante.

 

« Il l’a attendue pendant des mois, guettant chaque signe, observant le calendrier avec impatience »

 

Puis, chose intéressante, l’auteure scinde son histoire en 3 parties et je suis toujours très réceptive à ce genre de technique d’écriture d’autant plus sur ce type de roman : un peu comme « l’avant, le pendant et l’après ». Ça apporte tellement de force à l’ensemble qu’il est impossible de lâcher l’histoire même si on en connait forcément l’issue. Et quand à ces parties, l’auteure associe 3 titres phares du répertoire musical de Jean-Jacques GOLDMAN, je ne peux qu’y être sensible. Surtout lorsqu’il est évident que ces titres sont judicieusement choisis et attribués à chaque partie : 1 - LA-BAS / 2 - PUISQUE TU PARS / 3 - PAS L’INDIFFERENCE

 

Dans cette autofiction, l’auteure aborde des thèmes forts comme les violences conjugales, les humiliations raciales, le déracinement d’une terre natale, la maladie évolutive à laquelle on assiste impuissants, le deuil et sa manière de l’appréhender, les guerres ou autres atrocités contre les hommes, etc… Mais même si ce sont des sujets à connotation triste, ce n’est pas de la tristesse que j’ai ressenti mais une grande émotion qui ne m’a pas quittée jusqu’à la fin. Malheureusement, les thèmes de la maladie et du deuil font partie du cycle de l’existence et de manière très personnelle, pour y avoir été confrontée, j’ai pris le parti de tenter de les appréhender autrement. Ce qui n’empêche pas les larmes de couler et à l’émotion d’être là et bien là. Qu’on ne me fasse pas dire, ce que je n’ai pas dit, soyons bien d’accord avec ça. Je ne suis pas devenue insensible.

 

Cette histoire qui traverse des décennies est vraiment portée par la force de Marcel, le grand-père et par la curiosité de la jeune Cécile, 10 ans, qui veut tout connaître de son aïeul. Mais comme certaines vérités ne sont pas toujours bonne à dire, ni à entendre – surtout pour un enfant de cet âge-là -, ce grand-père qui aime sa petite fille au-delà de tout, va faire un choix de protection en ne lui transmettant que le meilleur et en choisissant d’édulcorer le pire.

 

« Elle a raison, il faudra un jour que je lui raconte l’Algérie. Ce pays où elle n’est pas allée,  qu’elle n’a pas connu, et qu’elle ne connaîtra jamais comme nous l’avons vu. Il faudra qu’elle découvre son histoire, puisque c’est la sienne »

 

Dans ce roman, on découvre la force physique et morale d’un homme qui aime sa terre natale, l’Algérie et qui ne conçois pas de vivre loin d’elle. Même si son enfance n’a pas toujours été rose, il ne se plaint jamais sachant se contenter de ce qu’il a. Au fil de l’histoire, on côtoie l’enfant qui a vécu tant de choses pour devenir un homme qui ne reculera devant rien, ni personne et qui donnera plus aux autres que de chercher à recevoir. Quelles que soient les étapes traversées et les époques vécues, c’est un enfant et un homme entier quels que soient ceux qui croisent son chemin.

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De l’Algérie des années 1920 jusqu’à la France des années 1960, c’est tout un pan d’histoire d’un pays en évolution, qui se déroule comme intimement lié à cette famille qui a tenu, coûte que coûte, pour éviter le déracinement. Mais l’adversaire était plus que fort et malgré les combats menés et remportés grâce à un courage incroyable, la décision finale ne pouvait qu’être l’abdication face à un climat pesant qui s’était emparé de ce pays si cher à leurs cœurs et à leurs esprits. Leur nouvelle terre d’accueil serait la France ; comme le présage d’une vie différente mais peut-être plus apaisée.

 

 

« Il manquait souvent l’accent, occasionnellement le soleil ou l’odeur, qui était moins vive. La couleur faisait également défaut. Comme si rien ne pouvait égaler mes souvenirs. J’ai pu trouver parfois les sonorités chantantes de « là-bas », mais jamais je ne me suis senti aussi bien. Je crois, en fait, que je ne me suis plus jamais senti chez moi »

 

Sauf que dans ce livre, il n’est pas seulement question de la partie traitant des origines et des racines de Marcel qui apparaît comme intouchable et inébranlable face à quoi que ce soit. Car celui qui s’apparente à un héros aux yeux de tous et notamment de ses proches, n’en est pas moins qu’un homme ; seulement un homme, avec ses forces mais aussi ses faiblesses. Et la faiblesse la plus sournoise qui s’insinuera en lui, c’est la maladie.

 

« Comme un enfant, il passe son doigt sur son nez. Ce geste, ce n’est tellement pas lui que je ne sais pas si je dois en rire ou en pleurer. Il me faut apprendre à connaître celui qu’il devient, comme si une autre personne avait volé l’enveloppe de mon grand-père »

 

Deuxième thème fort, traité sans langue de bois et avec honnêteté quant à son ressenti, par celle qui, à l’aube de ses 20 ans, sera touchée au plus profond d’elle, lui apportant une autre image de son grand-père, son héros avec qui elle a connu de si beaux moments et d’échanges épistolaires. Mise face à ses peurs et à ses doutes, passant par les étapes du choc de l’annonce et d’un certain déni, la fillette de 10 ans laissera sa place à la jeune femme de 20 ans qui  va puiser dans tout l’amour qu’elle a pour son aïeul pour ne pas tomber dans la résignation et pour lui apporter tout ce qu’elle peut pour embellir son quotidien et entretenir les souvenirs de son passé afin de maintenir ouvertes les portes de sa mémoire. Toute cette partie du processus donne lieu à de très beaux passages, à de très beaux gestes et actes d’amour même si la réalité se fait de plus en plus présente et insidieuse au fil des chapitres.

 

« La vérité, c’est qu’il n’était juste pas possible que le mal soit là, à nos côtés. On a pensé qu’en le rejetant il s’éloignerait, vexé. Comme si c’était possible… »

 

D’un bout à l’autre de ce roman, il est question d’amour qui traverse les générations : l’amour de Marcel pour sa maman, Zarie, l’amour de Marcel pour sa femme, Yvette, l’amour de Marcel pour sa petite-fille, Cécile et l’amour des uns et des autres pour Marcel. L’amour, le vrai. Celui qui est donné sans rien attendre en retour. Même si les personnages sont assez nombreux, de par le contexte de l’histoire, ils sont traités de manière assez pudique et discrète, comme en filigrane. Ils sont bien là mais en toute discrétion comme pour laisser toute la place au déroulement, sans y interférer, de l’histoire privilégiée de ce grand-père et de sa petite fille.

 

Donner son avis sur un tel roman chargé en émotions et en sentiments si profonds, est toujours délicat. J’aimerais tout dire, vous expliquer tout ce que chaque partie ou chapitre a fait raisonner en moi. J’aimerais vous dire que, au-delà de l’horreur qu’il est légitime d’imaginer, il y a toutefois une très belle poésie qui ressort de tout ça. Ca peut-être paradoxal mais c’est ainsi que j’ai vécu et ressenti certains passages.

 

Car même si tout ne correspond pas à la réalité de l’histoire de Marcel, ce livre est, 14 ans après sa disparition,  un acte et geste d’amour sans nom, de Cécile BERGERAC envers ce grand-père qui restera à jamais, pour la fillette de 10 ans qu’elle a été, un héros et un pilier. Quoi qu’elle ait pu découvrir dans les nombreux carnets qu’il a laissés comme un pied-de-nez à la maladie pour ne pas lui concéder ses souvenirs.

 

Je ne connais pas personnellement l’auteure mais il est incontestable que lorsqu’on sait mettre autant d’amour dans une histoire relatant un membre de sa famille et qu’on est capable de passer au-delà de la pudeur acquise comme un héritage, ce roman sur les liens intergénérationnels est sans nul doute possible à lire pour garder en mémoire que, comme le dit Cécile « Si vous avez la chance de pouvoir le faire, chérissez vos racines, serrez-les dans vos bras aussi fort que possible. Et n’oubliez jamais l’enfant que vous étiez a également besoin de vous ». Très belle lecture !

 

 

« Demander, c’est avouer une faiblesse, c’est admettre qu’on ne peut se suffire à soi-même »



20/06/2021
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